Erosions et deuils : Bukavu ne change toujours pas


Dans la nuit de ce lundi à mardi 28 juin à minuit 30’, une pluie diluvienne s’abat sur la ville de Bukavu. Les coups fracassants de tonnerre me réveillent. Il fait noir partout. Le vent est violent et tourne dans tous les sens. Sur mon lit, je grommèle et me rendors, impassible.

Au même moment à Kadutu, dans le camp militaire dit  « TP » sur avenue Industrielle, des  familles entières sont incommodées par les eaux de la pluie. Les tentes érigées dans ce camp sont envahies par les érosions. C’est le sauve-qui-peut ! Chaque militaire se décarcasse pour sauver sa famille et quelques effets de valeur. Il y en a qui ne retire rien du tout, tellement les eaux sont abondantes. C’est la désolation.

Le matin, des milliers de curieux accourent dans ce camp pour faire le constat. Le bilan est lourd. Deux morts, dont le Caporal Papy Lubanda, mort électrocuté pendant qu’il tentait de sauver sa fille que les eaux emportaient, et une dizaine de tentes  emportées par les eaux.

Près de cinquante familles de militaires vivent dans ce camp de fortune depuis plus de 3 ans. Ils y vivent « provisoirement » en attendant leur installation dans le grand camp militaire Saïo, en reconstruction. « On est là parce qu’on n’a pas d’habitations ! Les autorités nous ont promis de nous déplacer à Saïo aussitôt que les travaux seront finis. Les travaux sont finis, mais rien n’est fait », s’exclame en lingala un militaire en colère.

 

Les conditions de vie dans le camp TP sont déplorables. Pas d’hygiène, pas d’eau en permanence. Tout est comparable à un camp de réfugiés du Kosovo. Selon l’épouse d’un militaire, « en plus de manquer à manger, les érosions nous surprennent. C’est la troisième fois que les eaux de pluie envahissent ce camp », et d’ajouter en pleurant « pourquoi les autorités n’ont pas pitié de nous ? » 

La pluie diluvienne qui s’est abattue sur Bukavu n’a pas endeuillé que le camp TP dans la commune de Kadutu. Au quartier Cimpunda,  3 enfants d’une même famille ont été emportés par les eaux. Un corps sans vie a été repêché vers le marché Limanga dans le quartier Kasali. L’Ecole Primaire Chidasa au quartier Essence a vu sa toiture emportée. Les égouts construits le long de l’avenue Industrielle dans le cadre des « 5 chantiers », ont été entièrement engloutis par la boue.

La construction anarchique et l’absence de canalisation d’eau à Bukavu sont à la base de ces dommages. Le manque de passage d’eau causé par la promiscuité des maisons, fait déborder les égouts qui déferlent les eaux sur les habitations, emportant tout sur son passage… D’aucuns se demandent, jusqu’à quand la ville de Bukavu demeurera ce « village urbanisé ». Les bukaviens sont loin de trouver une réponse.

Un homme tué pour s’être soulagé dans la brousse

Samedi 4 juin 2011. Il est 11 heures 20 min. A cette heure, je reviens de chez ma grand-mère au quartier Rukumbuka dans la commune de Kadutu. Passant par le quartier Bugabo non loin du Lycée Wima (une école catholique des filles de Bukavu), c’est une foule immense de gens que j’aperçois au loin. Parmi les badauds qui sont là, il y en a qui se lamentent, qui sont énervés et d’autres qui semblent impassibles mais encouragent la scène.

Un drôle d’histoire vient de se passer sur le lieu. Un homme, transporteur de bagages (portefaix) de son état, vient d’être sérieusement battu par trois jeunes hommes.
Le hic: l’homme s’est permis de se soulager dans l’enceinte de la concession du Lycée Wima. Cet homme revenant du marché Muhanzi, a senti le gros besoin de se débarrasser. Comme Bukavu n’est pas doté de toilettes publiques, le quidam demande aux jeunes gens, membres d’une famille d’utiliser leur toilette se trouvant non loin de là. Mais ces derniers le lui refusent.

N’ayant plus d’autre endroit où se soulager et vu l’urgence qui l’effarouchait, l’homme choisit de se débrouiller dans la brousse. Ce faisant, les trois jeunes qui lui ont refusé de leur installation sanitaire, le poursuivent dans la concession du Lycée avant de le récupérer et de le tabasser sérieusement. Entré dans le coma, l’homme a été ramené aussitôt à l’Hôpital Général de Bukavu. Aux dernières heures, j’apprends que l’homme a rendu l’âme avant même de recevoir les premiers soins. 

"Sapilo", une liqueur locale interdite aux jeunes


Une radio locale diffusait ce matin un communiqué du Maire de la ville de Bukavu. Philémon Yogolelo interdit la vente des liqueurs locales. Selon son communiqué " tout contrevenant à cette décision subira la rigueur de la loi et payera une amende allant de 100 à 150$".

Pendant ma promenade dans la ville, je rencontre une vendeuse dans un kiosque. Par curiosité, je lui demande si elle vend du "Sapilo'' (terme utilisé dans la région pour désigner ces genres de liqueurs). Elle m'en sort deux de différents labels et de différents prix! "Pour cette marque la grande bouteille coûte 500 fc et la petite bouteille 300 fc", me lance-t-elle, sans gêne. Visiblement, elle n'a pas eu écho du communiqué du Maire. Voulant lui relayer le communiqué, elle s'irrite et me rétorque: " Ce n'est pas la première fois que le Maire de la ville prend une telle décision! D'ailleurs lui-même en consomme...

Le marché de Bukavu est submergé par ces produits toxiques. « C’est parmi les produits qui s’écoulent vite », estime un observateur. Les plus  grands acheteurs sont les jeunes.  Kara est l’un de ces consommateurs : « Si je continue à boire du « Sapilo », c’est par manque de travail. C’est pour me divertir et ça me soulage. Je peux m’en acheter à 300 fc alors qu’une bière me coûterait le triple ! Alors je fais quoi ? ».
Les jeunes comme Kara sont légion à Bukavu. Ils consomment à leur aise ces liqueurs.  Le comble est que certaines de ces bouteilles n’ont aucune indication. Pas de marque de fabrication  ni de taux d’alcool, et pas même de date d’expiration. Et cela ne dérange pas toujours les consommateurs.

La police Nationale Congolaise, les bourgmestres des communes et les Chefs des quartiers qui sont chargés de l’exécution de cette « énième mesure du Maire », ne semblent  pas se soucier des conséquences de ces produits. Leur implication est insignifiante! Pendant ce temps, la vente et la consommation du « Sapilo » continue à bien se comporter sur le marché de Bukavu.