"J’avais l’impression de devenir une machine à sous"

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À Kadutu, la commune populaire de Bukavu, en RDC, il existe une vingtaine de maisons closes. Des prostituées y côtoient la misère et l’exploitation. Ange, une d'entre elles, a accepté de nous raconter son histoire.
Ange a 15 ans quand elle quitte sa famille à cause de divers problèmes. Pour survivre, elle doit se prostituer. Question logement, des amis l’hébergent. 
Plus de 5 ans après, alors qu'elle est devenue maman, elle trouve une chambre après une drôle de rencontre dans un club. Ça se passe dans le quartier "Essence", toujours dans la commune de Kadutu. Ce soir-là, la belle Ange a fini le tour des bars et clubs du coin. Hélas, sans client.

Elle s'apprête à rentrer bredouille, mais une "maman" l’approche. Elles sympathisent autour de quelques verres. "Elle m’avait proposée de rentrer avec elle, chez elle. Je me rappelle qu’elle m’avait proposée de m’aider dans le métier pour m’en sortir", se souvient-elle.

Par naïveté, peut-être. Mais surtout par la volonté de saisir l’opportunité qui se présente : Ange se fait recruter dans une des maisons closes du quartier. Il en existe 27 au total. "En cours de route, raconte-elle, elle me rassurait que je pourrai laisser mon fils chez elle et qu’elle prendrait soin de lui. À l’entendre, l’idée était de m’aider à surmonter mes difficultés. Je ne m’imaginais pas le pire." Le lendemain, la nouvelle recrue déménage avec son fils pour son nouveau domicile. Là, elle cohabite avec deux autres jeunes filles. Des prostituées, aussi.

Le charme, la chance et la motivation

Rapidement, la "maman" décide de fixer les "règles". Le partage du loyer, notamment : quinze dollars américains par semaine et par colocataire. "C’était un peu bizarre parce qu’elle nous avait jamais dit le montant du loyer." À ce stade, pas de problème pour Ange. L’essentiel, pour elle, c’est la garde de son fils. Elle mise sur son charme et un peu de chance pour gagner de l’argent.

Mais très vite, elle déchante. Les clients se font rares et elle n'arrive pas à réunir assez d'argent pour le loyer. "Cela ne plaisait pas à la "maman"." Elle s’était décidée de démarcher les hommes pour nous, avec lesquels elle négociait directement le prix", explique-t-elle. "J’avais l’impression de devenir une sorte de machine à sous. Je couchais, des fois, avec plusieurs hommes que je voyais débarquer dans ma chambre."

Aujourd'hui, à 23 ans, Ange se trouve dans un établissement médical après une crise de paludisme. Depuis son hospitalisation, son fils l’a rejoint, loin des bars et clubs. "Je suis sans domicile pour le moment. Je mange rarement. Je profite des repas des malades pour nourrir mon enfant", dit-elle avant de reconnaître que ce "sale moment" lui permet de méditer sur son avenir, qu'elle voit de façon plutôt positive : "Je crois que je suis prête à retourner dans la vie normale. Mais je doute que ma famille soit disposée à m’accueillir.

Par Yves Zihindula et Gaïus Kowene, via @RNWAfrique