"J’avais l’impression de devenir une machine à sous"

                                                                                      Ph.Global Getty Images

À Kadutu, la commune populaire de Bukavu, en RDC, il existe une vingtaine de maisons closes. Des prostituées y côtoient la misère et l’exploitation. Ange, une d'entre elles, a accepté de nous raconter son histoire.
Ange a 15 ans quand elle quitte sa famille à cause de divers problèmes. Pour survivre, elle doit se prostituer. Question logement, des amis l’hébergent. 
Plus de 5 ans après, alors qu'elle est devenue maman, elle trouve une chambre après une drôle de rencontre dans un club. Ça se passe dans le quartier "Essence", toujours dans la commune de Kadutu. Ce soir-là, la belle Ange a fini le tour des bars et clubs du coin. Hélas, sans client.

Elle s'apprête à rentrer bredouille, mais une "maman" l’approche. Elles sympathisent autour de quelques verres. "Elle m’avait proposée de rentrer avec elle, chez elle. Je me rappelle qu’elle m’avait proposée de m’aider dans le métier pour m’en sortir", se souvient-elle.

Par naïveté, peut-être. Mais surtout par la volonté de saisir l’opportunité qui se présente : Ange se fait recruter dans une des maisons closes du quartier. Il en existe 27 au total. "En cours de route, raconte-elle, elle me rassurait que je pourrai laisser mon fils chez elle et qu’elle prendrait soin de lui. À l’entendre, l’idée était de m’aider à surmonter mes difficultés. Je ne m’imaginais pas le pire." Le lendemain, la nouvelle recrue déménage avec son fils pour son nouveau domicile. Là, elle cohabite avec deux autres jeunes filles. Des prostituées, aussi.

Le charme, la chance et la motivation

Rapidement, la "maman" décide de fixer les "règles". Le partage du loyer, notamment : quinze dollars américains par semaine et par colocataire. "C’était un peu bizarre parce qu’elle nous avait jamais dit le montant du loyer." À ce stade, pas de problème pour Ange. L’essentiel, pour elle, c’est la garde de son fils. Elle mise sur son charme et un peu de chance pour gagner de l’argent.

Mais très vite, elle déchante. Les clients se font rares et elle n'arrive pas à réunir assez d'argent pour le loyer. "Cela ne plaisait pas à la "maman"." Elle s’était décidée de démarcher les hommes pour nous, avec lesquels elle négociait directement le prix", explique-t-elle. "J’avais l’impression de devenir une sorte de machine à sous. Je couchais, des fois, avec plusieurs hommes que je voyais débarquer dans ma chambre."

Aujourd'hui, à 23 ans, Ange se trouve dans un établissement médical après une crise de paludisme. Depuis son hospitalisation, son fils l’a rejoint, loin des bars et clubs. "Je suis sans domicile pour le moment. Je mange rarement. Je profite des repas des malades pour nourrir mon enfant", dit-elle avant de reconnaître que ce "sale moment" lui permet de méditer sur son avenir, qu'elle voit de façon plutôt positive : "Je crois que je suis prête à retourner dans la vie normale. Mais je doute que ma famille soit disposée à m’accueillir.

Par Yves Zihindula et Gaïus Kowene, via @RNWAfrique

Un homme battu par sa femme en pleine rue de Bukavu



-   Tais-toi, tu oses me répondre ? Impolie ! infidèle ! soularde!
-   Et toi tu la fermes, un mari irresponsable !
-   Je vais te chasser de cette maison !
-   Tu ne peux pas, bête que tu es ! C’est plutôt toi que je vais te chasser d’ici
-   Depuis qu’on t’a nommé Magistrat tes propos et tes attitudes m’étonnent !
-   Et pourquoi pas ? J’ai aussi le droit de boire!

La scène est très chaude. Il est 19h30, jour de Noël. Je reviens du quartier Ndendere. Sur la ruelle non éclairée qui mène vers l’Athénée d’Ibanda, quelques curieux, alertés par des bruits et des cris, accourent sur le lieu. Vous savez comment les bukaviens s’intéressent à la vie des autres ! Ils étaient déjà nombreux sur le lieu, ironiques !

Monsieur et Madame sont loin d’arrêter leur discussion. Des coups de boxe et gifles se font entendre au dehors de la clôture. Quelques secondes plus tard, c’est la femme qui quitte l’enclos en fuite, sa poitrine nue. Visiblement la femme est un peu ivre. Monsieur est fou de rage : « Tu t’es encore permise de revenir tard et soûl ce soir ? », gronde-t-il encore, avec une fureur démesurée. La femme réplique par des coups de boxe, et pas les moindres!  La bagarre prend une autre allure, et continue en dehors de l’enclos. Pendant toute cette altercation, une grosse pierre est lancée par la femme. Le mari esquive la première mais la seconde est verticale et précise ! Le mari est gravement touché. Du coup, il a un nez gonflé et saignant... Je n’avais jamais vécu un tel scandale!

La scène, de part sa robustesse, est lourde à supporter. Je quitte le lieu pendant que des voisins tentent de calmer les esprits du couple et d’acheminer le mari à l’hôpital.

Monsieur est Avocat et sa femme vient d’être nommée Magistrat. A Bukavu on observe rarement de telles scènes en public. Chaque fois que la femme affiche une certaine arrogance vis-à-vis de l’homme, c’est souvent sous le toit familial. Ce soir, le comportement béant de la femme juriste a fait renaitre des commentaires sur la femme instruite.  « C’est toujours ça quand la femme est intellectuelle au même titre que l’homme. Elle se compare à lui et le respect s’évapore » commente un témoin de la scène avec qui je fais route. D'autres se moquent de la faiblesse physique de l'homme humilié par sa femme.

La femme instruite a toujours posé matière à réflexion surtout lorsqu’il s’agit du mariage. On l’accuse de tous les maux : discourtoise, véreuse, têtue, dominante,…
Au delà de tout, la femme instruite doit être à même de comprendre la signification du mot « soumission ». C’est le fait de reconnaitre à l’homme ses qualités, sa supériorité en tant que chef de famille et le laisser jouir de ses pouvoirs. Même si la femme est instruite, doit-elle oublier qu’elle est d’abord femme avant d’être une intellectuelle ?

La scène vécue ce soir n’a-t-elle pas été d’une insolence sublime à l’égard de l’homme ? Dans cette polémique sur la femme intellectuelle, une chose est sûre, cette femme qui a osé toucher sur son mari, devrait au contraire se montrer plus compréhensive et plus sage qu’une femme non instruite.

Mariages à Bukavu : Cadeaux bien emballés mais aux contenus minables


Il était heureux ce jour-là. Ce fut son jour de mariage, son jour de bonheur. Quoi de plus normal ! Tellement il était heureux, il m’a même taquiné : « Et toi, qu’est-ce que tu attends, petit célibataire ! »

Le soir dans la salle de fête, il y avait plein de monde. La file était longue pendant la remise des cadeaux aux mariés. Certains invités de valeur ont offert des morceaux de cordes au couple, signes que des vaches leur seront remises le lendemain. D’autres ont offert des enveloppes de monnaie et des promesses de véhicules.

Une semaine plus tard, il m’appelle. « Mon cher, sais-tu qu’il n’y avait rien dans l’énorme cadeau que portait le Directeur ? Juste des paquets de papiers mouchoirs et quelques morceaux de tissus !», s’exclame-t-il, un peu déçu par ce qu’il espérait recevoir de son chef, qui trainait un gros cadeau majestueusement emballé.

Depuis un temps, Bukavu est devenue une ville des prétentieux. A chaque grande occasion de fête ou de faste cérémonie, nombreux sont ceux qui veulent se donner une image de fortunés. Jeeps, maisons, vaches, screen flat dernier cri,… autant de cadeaux sont promis aux jeunes couples mariés devant les invités, avec toute solennité. Mais la plupart de jeunes mariés déchantent vite.

« L’honorable député m’avait promis deux vaches, il ne me les a jamais remises ! Chaque fois que je les lui rappelle, il me dit d’attendre la fin du mois. Ça fait 4 mois que j’attends », me confie un collègue de service, nouveau marié.

Dans la majorité de jeunes mariés, le constat est partout négatif. Certains invités qui ne peuvent promettre, sont plutôt porteurs de grands et flamboyants emballages mais aux contenus minables. Qu’est-ce qui motivent les habitants de Bukavu à être de plus en plus exhibitionnistes ? Sans doute la soif de paraitre, le désir de se donner, aux yeux des gens, l’image de grandes dames ou de grands hommes de la ville. Mais à quoi cela servirait si à la fin les bénéficiaires de ces cadeaux ne s’en contentent pas ? Mystifier un emballage de cadeau qui n’en reflète pas le contenu ou promettre sans réaliser, n’est-il pas signe de manque de courtoisie à l’égard du jeune couple marié? Vouloir cacher son indigence est un pas vers la convoitise et les détournements.

Avec cette allure, Bukavu se façonne peu à peu des femmes et des hommes sans scrupule. Le respect aux mariés voudrait aussi qu’on leur offre de simples cadeaux emballés modestement et de faire plus de surprises que des promesses. Ou carrément ne rien offrir quand les possibilités sont minimes. On n’en mourait pas pour autant ! « Les belles paroles n’écorchent pas la langue », dit-on

La pornographie vendue par les enfants mineurs


Ils me trouvent sur une terrasse où j’échange avec un ami. Ils s’approchent de nous et nous exhibent quelques disques qu’ils vendent. « J’ai la dernière saison de 24heures Chrono! Il y a aussi la série de Frijolito et de Paloma », me lance le plus âgé. Je lui réponds que je ne suis pas très intéressé. Ils s’en vont, puis le plus jeune revient encore quelques minutes plus tard. Il me dit à l’oreille : « J’ai aussi des films pornographiques. Si ça t’intéresse, je te les donne à 1500 FC chacun ». 

« Ema! », m'exclame-je en dans ma langue maternelle. Je l’observe. Le monsieur qui me parle me parait trop jeune pour me faire une telle proposition. Je me fais très intéressé par son offre. Il me sort une dizaine de films pornographiques avec pochettes bien auréolées. C’est alors que je lui pose des questions sur sa personne. Il me dit qu’il s’appelle Abibou. Il a 13 ans. Il étudie en 6ème  année primaire à l’E.P. CC (Camp Cinéma) dans la Commune de Kadutu. Chaque jour après cours à midi, il fait le porte-à-porte au centre-ville pour vendre des DVDs de films. Et à cet âge, il vend déjà des films pornographiques, comme de nombreux autres jeunes de son âge qui sillonnent la ville avec des CDs. 

Quelle est le rôle de la société devant cette dérive éducationnelle des enfants mineurs? Le processus de déliquescence et de la démission de l’Etat, a entraîné dans son sillage la dégradation de l’éducation des enfants. Au rythme de la croissance démographique dans la ville et du laisser-aller des parents, l’éducation des enfants échappe et connait un développement quantitatif débridé et anarchique. N’est-ce pas que tout système éducatif est d’abord un problème de la société qui l’organise et qui le gère et dont il est à la fois le reflet et la résultante ? Suivons donc de près ces enfants en voie de perdition, sinon nous en serons tous responsables et avec à la tête l’Etat.

Se décharger partout: une bévue devenue naturelle ?


Et voilà ! Encore un garçon BK en train faire paisiblement sa toilette. On n’en parlera jamais assez ! Bukavu ma ville, connue depuis plusieurs années comme la Suisse de l’Afrique, de part sa nature florissante, ses hauteurs et sa sublime beauté, n’est plus qu’une vieille poubelle. Les belles rues résidentielles qui la valorisaient jadis, les hommes et même les femmes, les ont transformées aujourd’hui en véritable dépotoir où tout quidam vient y déposer ses déchets. 

Cette bizarrerie, devenue comme une nature, ne gène plus personne. En cours de route, de plus en plus de gens trouvent normal qu’un camarade se soulage. Et où ? N’importe où, pourvu qu’on libère sa vessie ou son gros intestin ! Et cela au vu et au su des agents de l’ordre et même des autorités provinciales ayant l’hygiène dans leurs attributions. Les enfants de la rue, véritables acteurs de cette besogne, ont transformé plusieurs coins de la ville en zones inaccessibles, seulement par l’odeur. Sur certains murs de la ville, les inscriptions du genre: « Interdit de pisser ici », « Quiconque sera attrapé en train de pisser ici sera puni »,… ne sont que des slogans creux qui, d’ailleurs, ne font que salir les murs qui embellissent encore certaines rues de Bukavu. 

Mais au delà de tout, l’on peut se demander si réellement cette population n’a pas raison d’agir de la sorte ! Dans cette ville où les toilettes publiques sont quasi inexistantes, l’Etat devrait réfléchir par deux fois. Pour construire une latrine publique, cela nécessite-t-il un budget colossal ? La Mairie étant responsable numéro 1 de la ville, ne devrait-elle pas prendre ses responsabilités afin de nous éviter cette monstruosité qui ternit notre image auprès des visiteurs étrangers ?

En attendant les grands changements qu’on nous promet, nous serions fiers si le Maire de la ville initiait une politique de restriction de cet acte. Plusieurs méthodes pourraient ainsi être adoptées : « Un pipi, une pierre ». Seront donc lapidés, tous ceux qui s’aventurent à se décharger en pleine rue dans notre ville. Même la pire des solutions n’est-elle pas la bienvenue pour nous éviter de telles humiliations ?

Le salut au drapeau : source de revenus pour les militaires ?


Ce matin à 7h30 avant d’aller au travail, je fais un petit crochet à l’hôpital CELPA voir un malade interné là depuis deux jours. Je marche rapidement pour retourner vite. Je suis alerté par un autre passant que je vois immobile comme un poteau. Il me crie : « Arrêtes-toi, on risque de te frapper ». Je remarque que tout mon entourage est figé devant le drapeau national qu’un militaire remonte sur un morceau de bois au bureau de la 10ème région militaire. Je m’arrête comme tout le monde. Pas d’hymne national ni de chants patriotiques. Tout se fait comme dans un chœur des muets.

Quelques secondes avant la fin de ce salut au drapeau, un motard distrait roulait encore non loin de là. Il ne s’en rendra compte qu’à la fin. Mission réussie pour les militaires attachés à ce quartier général. Le motard est alors récupéré illico et son jeune client giflé avant de repartir sur un autre taxi-moto.


Au sortir de l’hôpital, j’apprends que la moto du motard a été saisie. Pour la récupérer, le motard est obligé de payer 20 $US d’amende pour avoir été inattentif pendant le salut au drapeau. La 10ème région militaire se transforme ainsi en service taxateur. Un petit butin que les soldats se partageront pour s’acheter des cigarettes et quelques bouteilles de bière. Vive les distraits pendant le salut au drapeau. Un business qui roule !

Les convoyeurs des bus de transport : Aucun respect pour les clients !



Ce dimanche matin, je dois être à Kadutu à 8h00. C’est une urgence ! Je n’ai pas de sous dans ma poche. La seule monnaie dont je peux me vanter ce sont quelques billets de 100 Francs congolais qui traînaient encore la veille dans mes poches. J’en réunis quatre, assez suffisants pour une course dans un bus. Aussitôt, je me plante au parking de Nyawera. Il est 7h30’. J’entre dans un minibus. Je suis encore seul dedans. Le convoyeur hèle passivement les clients qui sont rares. Il n’y en a presque pas d’ailleurs. Les peu de clients qui arrivent, préfèrent prendre les taxis-voitures ou motos qui sont vite pleins et expéditifs. Moi par contre, je ne peux me permettre ce luxe à cet instant. Ma poche est indigente. Je patiente.

Dans ce minibus de 18 places, les clients arrivent peu à peu. Nous sommes deux, trois, puis cinq clients. A 7h50', je meurs déjà d’impatience d'arriver à mon rendez-vous de 8h00. En plus, je remarque que le convoyeur ne fournit pas suffisamment d’effort pour mobiliser les clients. Mais peu à peu, les clients affluent. Nous sommes déjà 17 et il est 8h20'. Je suis très en retard.

Le chauffeur qui doit nous conduire ne veut pas quitter le parking tant que la dernière place n’est pas occupée. Eh bien, il faut encore attendre ! Pendant ce temps, l’homme avec qui j’ai rendez-vous à Kadutu, s’impatiente. Il a un programme chargé. Il me fait des appels téléphoniques et d’incessants "bips". Pour moi, l’heure est grave ! Je suis fou furieux de cette longue attente. Je négocie le départ avec le chauffeur du bus mais sans succès. « Je ne peux pas quitter tant que le bus n’est pas plein », me lance-t-il sèchement. On attend encore!

La goutte d'eau qui déborda le vase 

Impatients d’attendre, trois clients quittent ce bus et prennent des taxis. Je suis alors troublé. C’est là qu’un des clients demande gentiment au convoyeur: « Maintenant que trois clients viennent de quitter, on doit encore attendre combien de temps ? »
Le convoyeur, nous regardant tous dans les yeux, lance avec aisance : « Que celui qui veut quitter ce bus, le quitte ! Vous pensez que je peux manquer des clients ? On ne quittera pas ce parking tant que ce bus n’est pas plein. Et celui qui veut partir qu’il s’en aille ! Sots et stupides que vous êtes ! Et faites ce que vous voulez, vous ne m’emmènerez nulle part!» 

Les propos du convoyeur laissent tout le monde de marbre. Certains de ceux qui sont avec nous quittent aussitôt ce bus. D’autres, insensibles à ces propos, attendent toujours le départ. Moi par contre, je suis furieux d’être traité de sot par un inconnu que je n’ai rien fait et en même temps je suis embarrassé... Ma petite sagesse a tout simplement épargné cet impoli de convoyeur à avoir un visage défiguré ce matin là..

Jusqu’à quand continuerons-nous à être victimes des propos malsains de la part des convoyeurs des bus de transport ? A qui advient la faute pour déguster si gratuitement de telles humiliations ? A l’Etat ? Aux propriétaires de ces bus ?  Peut-être oui ! Eux qui embauchent à tout coin de rue des troubadours grossiers, malappris et mal élevés.

Il a fallu attendre encore 20 minutes avant que le chauffeur décide enfin de quitter le parking, avec seulement quelques clients. J’arrive avec une heure de retard à mon rendez-vous. Et dire que les Congolais ne respectent pas le temps ! Ma journée dominicale venait ainsi d’être gâchée par un convoyeur de bus !

L'Hôtel du gouvernement provincial en feu!

 

Il est 23h48’ à Bukavu. Trois techniciens de la RTNC restés au studio après la fin des programmes trente minutes plus tôt, sont déjà en plein sommeil.  Indisposés par la chaleur et alertés par les cris des sentinelles et autres policiers de garde, ils se lèvent et du coup, c’est le sauve-qui-peut ! 

L’Hôtel des Postes de Bukavu, devenue Hôtel du gouvernement provincial, est en feu. Tout le quartier est alors alerté. Les appels téléphoniques se font dans tous les sens pour faire appel aux services de secours. Pendant ce temps, l’incendie qui serait parti du studio de la RTNC, gagne un  nouveau local à chaque quart d’heure. 

Les émetteurs et studios télé et radio de la RTNC Bukavu, le bureau du PRCG (Projet de Renforcement des Capacités en Gouvernance) ainsi que les installations des 4 ministères provinciaux : Enseignement, Agriculture, Santé et Justice sont tous consumés par le feu. Plusieurs biens matériels importants dont les archives, aussi bien de ces ministères que de la RTNC sont réduites en poussière.  L’histoire vient ainsi de partir en fumée!

Grâce au camion anti-incendie de la Pharmakina avec l’appui en eau de la Monusco, arrivés sur lieu deux heures plus tard, le feu est maitrisé. Ils épargnent ainsi la fournaise à deux autres ministères, au secrétariat exécutif du gouvernement provincial et au bureau de la CENI (Commission Électorale Nationale Indépendante) Sud-Kivu. 

Jusqu’à ce samedi matin, l’origine du feu reste inconnue. Mais certains témoins que je rencontre sur le lieu déclarent que: « le feu est parti des câbles vétustes externes qui entourent le bâtiment, côté RTNC. » 

Il y a plus d’une année, la grande Poste de Bukavu recevait de la Banque Mondiale un appui financier de plus de 400.000$US pour sa réhabilitation. Les travaux étaient en cours de finissage. Mais aujourd’hui, tout doit reprendre à zéro.

Pour une place dans le bus de Bagira…


Le Samedi passé, j’avais décidé de passer ma soirée à Bagira. Je voulais découvrir « Sombrero », une buvette en vogue et tant vantée par les jeunes de Bukavu. Bagira est la troisième commune de Bukavu. Très peu d’activités commerciales et administratives s’y déroulent. Pas d’université, pas de grand marché, pas de bibliothèques. Un seul cybercafé fonctionne pour des milliers d’habitants. Bagira est surnommé «commune dortoir». Ses habitants n’y retournent que pour dormir, après avoir passé pendant la journée toutes leurs activités dans la commune d’Ibanda et de Kadutu.

Je débarque à 17h40 à la Place de l’Indépendance. J’attends un bus. Les taxis sont rarissimes et toujours pleins. Autour de moi, des femmes, des enfants, des jeunes et même des vieillards. Tous attendent un bus pour « Bagdad ». Après 20 minutes d’attente, enfin un bus au loin. Aussitôt, une jeune femme me lance en swahili : « Grand-frère, j’ai un bébé sur moi et je dois aller préparer de la nourriture pour ses frères ! ».  Je n’y comprends rien du tout ! Tout le monde me semble pressé.

Quand le bus arrive, c’est tout le monde qui accourt. Sans gêne, chacun déploie toute son énergie physique pour entrer dans le bus. Tant pis pour les infirmes et autres invalides ! Je n’ai plus reconnu ces jeunes enfants et ces vieux qui étaient à mes côtés et que je semblais choyer. Et bien, comme tout le monde, je me bats aussi. Quelques secondes après, je trouve une place, assez confortable. Mais à l’entrée du bus, un vieillard épuisé par la lutte, n’arrive pas à se trouver une place. Il est obligé de redescendre et d’attendre un autre bus, peut-être incertain. Pris de pitié, je descends du bus et lui cède ma place.

Certains de ceux qui avaient raté ce bus, choisissent de faire le pied sur ce tronçon de plus de 6 km. D’autres comme moi, décident d’attendre le prochain. « Il faut avoir mangé et réunir suffisamment d’effort pour se trouver une place dans les bus ici, surtout les samedis ! », me lance Dunia, un nouvel « attentiste » qui s’est joint à moi. 
J’ai tout de suite pensé à Kigali où je vois des gens faire des files pour entrer dans les bus. A Bukavu, les gens sont loin de s’organiser dans ce secteur. Et l’Etat, au travers les instances chargées d’assurer l’ordre dans les transports en commun, lâche du lest…

Impatient d’attendre un autre bus qui ne venait toujours pas, et déçu par cette épreuve de musculature qui m’attendait, j’ai résolu de retourner chez moi. Et depuis, je n’ai jamais plus visité « Sombrero » !

A quelques mois des élections, le chantier 'Route' de plus en plus visible à Bukavu


Dernièrement, un ami m’a demandé de parler dans ce blog de quelque chose de positif.  Et bien voilà, ça tombe bien! Enfin un constat positif, mais toujours aussi baroque.  A seulement quelques mois des élections présidentielles prévues le 28 novembre prochain, Bukavu ressemble désormais à un vaste chantier. Les piétons, les conducteurs des taxis, les motards et autres transporteurs sont incommodés par des travaux en cours sur la voirie urbaine de la ville de Bukavu. 
 
Du marché de Nyawera en passant par la route de l’ISP-Major Vangu au quartier Essence, de la Place de l’Indépendance jusqu’au quartier Industriel, des engins chinois et congolais sont à pied d’œuvre pour répondre au vieux desideratum de la population de Bukavu : De bonnes routes urbaines. Des maisons construites anarchiquement sur le long de la « Route d’Uvira » sont en pleine démolition  par des tracteurs de l’Office des Routes pour faire respecter les frasques et marges tracées sur ces routes depuis l’époque coloniale.
  
« Ces travaux sont l’œuvre du gouvernement national, initiée par le Chef de l’Etat dans le cadre des 5 chantiers de la République », déclarait le Gouverneur de Province sur les ondes d’une radio locale.  A la question de savoir pourquoi attendre la veille des élections pour initier ces travaux, Chishambo a cette réponse : « Ça n’a rien à avoir avec les élections. Nous sommes un gouvernement responsable, qui a un programme et qui fait son travail normalement et progressivement… »

Dans les rues de Bukavu, les avis restent partagés. Gertrude est informaticienne dans une ONG internationale. Pour elle « c’est la première fois depuis plusieurs années que ces routes sont reconstruites. Donnons à ce chantier une chance, peut-être que cette fois-ci les choses marcheront. » 

Mao est motard. Sur sa moto qui me dépose à l’Edap/ISP, il me lance: « ces travaux ne sont que des mascarades pour les prochaines élections. Pourquoi ne les avoir pas commencés tôt ? Je suis sûr que ces travaux ne seront jamais achevés aussi longtemps qu’il n' y a pas d’hommes sérieux à la tête de ce pays ». Et d’ajouter que  « ces chinois ne font que nous rajouter de la poussière, déjà omniprésente en cette saison sèche ». 

L’allure que prend de plus en plus le chantier Route dans la ville de Bukavu étonne plus d’un. D’où le doute qu’éprouvent certains bukaviens sur sa qualité et sa durabilité. Ce chantier ne ressemble-t-il pas aujourd’hui à une équipe de football menée 1-0 à une minute de la fin du temps réglementaire ? Les « joueurs » semblent enfin motivés à marquer le but de l’égalisation. Le but qui pourrait changer le score, placer l’équipe en bonne position et remettre les supporters en confiance. Quoi qu’il en soit, à quatre mois des élections, Bukavu change.  Et très rapidement. Vive les élections!

Pour travail non réalisé, un tailleur-couturier arrêté par des militaires



Dans la soirée de ce mardi, les bukaviens sont embarrassés par l’arrestation de Kapapa*, tailleur et tenancier d’un petit atelier de couture situé sur avenue Mbaki dans la Commune d’Ibanda. Il est reproché à Kapapa de n’avoir pas remis à temps les pagnes (Super Wax) d’une dame. 

Kapapa cousait ces pagnes depuis plus d’un mois, dépassant remarquablement le délai convenu avec sa cliente. Pris de colère, la dame n’est pas restée apathique. Grâce à ses connaissances dans les milieux des gouvernants, elle choisit de faire intervenir des militaires pour arrêter Kapapa. Du coup, deux militaires débarquent dans son atelier. 
L’homme est d’abord menacé, intimidé puis giflé. Dans ce pays où seuls les nantis ont droit aux menottes "originales", Kapapa a les bras attachés par des cordes en plastique. Il est trainé à pied tout le long de la route qui mène au camp militaire Saïo où une petite cellule l’attend.

"Pour une affaire civile, pourquoi faire appel aux militaires ? Quel est finalement le rôle d’un policier ?" s'interroge un journaliste d'une radio confessionnelle installée sur l'avenue. Cette scène nous rappelle, sans nul doute, l’époque de Mobutu où chaque individu lésé avait le privilège de faire intervenir un militaire pour se rendre justice, moyennant quelques sous. Les temps ont changé mais les comportements sont restés les mêmes. D’aucuns se demandent si la RDC a véritablement quitté la deuxième république.

En attendant, Kapapa est détenu « provisoirement » dans une cellule. Et ici chez nous, la détention provisoire a ses péripéties, un affront au bon fonctionnement de l’appareil judiciaire. Kapapa commence ainsi une nouvelle lutte, celle de retrouver sa liberté, au prix d’énormes sacrifices.  

* Kapapa, nom de code pour protéger l’honneur et la sécurité du tailleur

Des milliers de femmes enceintes sur les routes de Bukavu : Un spectacle hallucinant !



Ce  matin vers 10h30’, la circulation est totalement bouchée au niveau de la Cathédrale Notre Dame de la Paix de Bukavu. Des milliers de femmes enceintes sont en train de traverser la route, très lentement, dandinant dans tous les sens. Plus loin, encore d’autres. Chacune d’elles avec un bidon d’eau entre les mains. Je descends du véhicule qui me ramène au centre-ville. Je suis curieux de savoir ce qui se passe. 

Maman Yasmine, une jeune femme de Panzi que je rencontre au sortir de la Cathédrale, avec d’autres milliers de femmes, viennent de recevoir des bénédictions du Père Ricardo, un célébrissime exorciste de Bukavu. « Il a mis de l’huile sainte sur le visage et sur le ventre de chaque femme, puis il a béni l’eau mélangée de sel, que chacune de nous emporte chez elle », m’explique-t-elle, affaiblie par le poids de son ventre. 

Chaque premier mercredi du mois, ce père xavérien dit la messe à la Cathédrale de Bukavu au cours de laquelle il enseigne, prie et bénit les femmes enceintes. Elles viennent de tous les coins de la ville pour répondre à ce rendez-vous. Il y en a qui font le déplacement de Nyangezi, de Kamanyola et même d’Uvira. Leur nombre est tellement élevé que la messe est dite à l’extérieur en plein air, autour de la pelouse qui entoure la Cathédrale de Bukavu. 

Dans cette messe spéciale qui dure près de trois heures, aucun homme n’y est admis. Sauf quelques acolytes et diacres qui accompagnent le prêtre. Les femmes qui ne sont pas enceintes, ne sont pas les bienvenues non plus. Gare à la fraudeuse !
 « Quand on est enceinte, c’est en ce moment là que les ennemis nous guettent. Les démons sont partout. Il faut donc beaucoup prier et faire bénir nos bébés encore dans les ventres », me confie Anastasia, une femme venue de Kamisimbi. 

La scène est plus rocambolesque au sortir de la messe. A cet instant, l’artère principale de Bukavu est submergée par des femmes enceintes, marchant à pied pour la plupart: Exercice physique des femmes prégnantes oblige ! « C’est beau à voir mais c’est surtout rigolo », lance un agent d’une société d’assurances non loin de là. Et d’ajouter : « Les hommes de Bukavu ne dorment pas!», comme pour ironiser ces hommes qui sacrifient leur sommeil pour "engrosser".

Devant cette scène spectaculaire, tout porte à croire que réellement les bukaviens ne badinent pas en matière de grossesses. Selon UNICEF, 288 bébés naissent chaque mois dans le seul hôpital de Chiriri à Bukavu... Lorsque les conditions de vie seront convenables à Bukavu, le Père Ricardo n’aura-t-il pas davantage de pain sur la planche ? Saura-t-on compter le nombre des femmes enceintes à Bukavu? En attendant, la ville accueille d’ici la fin de l’année des milliers de nouveaux nés. Reste à savoir si le planning familial des couples bukaviens est correctement suivi.

Doudou Kajangu sur Twitter: @DoudouKajangu

Erosions et deuils : Bukavu ne change toujours pas


Dans la nuit de ce lundi à mardi 28 juin à minuit 30’, une pluie diluvienne s’abat sur la ville de Bukavu. Les coups fracassants de tonnerre me réveillent. Il fait noir partout. Le vent est violent et tourne dans tous les sens. Sur mon lit, je grommèle et me rendors, impassible.

Au même moment à Kadutu, dans le camp militaire dit  « TP » sur avenue Industrielle, des  familles entières sont incommodées par les eaux de la pluie. Les tentes érigées dans ce camp sont envahies par les érosions. C’est le sauve-qui-peut ! Chaque militaire se décarcasse pour sauver sa famille et quelques effets de valeur. Il y en a qui ne retire rien du tout, tellement les eaux sont abondantes. C’est la désolation.

Le matin, des milliers de curieux accourent dans ce camp pour faire le constat. Le bilan est lourd. Deux morts, dont le Caporal Papy Lubanda, mort électrocuté pendant qu’il tentait de sauver sa fille que les eaux emportaient, et une dizaine de tentes  emportées par les eaux.

Près de cinquante familles de militaires vivent dans ce camp de fortune depuis plus de 3 ans. Ils y vivent « provisoirement » en attendant leur installation dans le grand camp militaire Saïo, en reconstruction. « On est là parce qu’on n’a pas d’habitations ! Les autorités nous ont promis de nous déplacer à Saïo aussitôt que les travaux seront finis. Les travaux sont finis, mais rien n’est fait », s’exclame en lingala un militaire en colère.

 

Les conditions de vie dans le camp TP sont déplorables. Pas d’hygiène, pas d’eau en permanence. Tout est comparable à un camp de réfugiés du Kosovo. Selon l’épouse d’un militaire, « en plus de manquer à manger, les érosions nous surprennent. C’est la troisième fois que les eaux de pluie envahissent ce camp », et d’ajouter en pleurant « pourquoi les autorités n’ont pas pitié de nous ? » 

La pluie diluvienne qui s’est abattue sur Bukavu n’a pas endeuillé que le camp TP dans la commune de Kadutu. Au quartier Cimpunda,  3 enfants d’une même famille ont été emportés par les eaux. Un corps sans vie a été repêché vers le marché Limanga dans le quartier Kasali. L’Ecole Primaire Chidasa au quartier Essence a vu sa toiture emportée. Les égouts construits le long de l’avenue Industrielle dans le cadre des « 5 chantiers », ont été entièrement engloutis par la boue.

La construction anarchique et l’absence de canalisation d’eau à Bukavu sont à la base de ces dommages. Le manque de passage d’eau causé par la promiscuité des maisons, fait déborder les égouts qui déferlent les eaux sur les habitations, emportant tout sur son passage… D’aucuns se demandent, jusqu’à quand la ville de Bukavu demeurera ce « village urbanisé ». Les bukaviens sont loin de trouver une réponse.

Un homme tué pour s’être soulagé dans la brousse

Samedi 4 juin 2011. Il est 11 heures 20 min. A cette heure, je reviens de chez ma grand-mère au quartier Rukumbuka dans la commune de Kadutu. Passant par le quartier Bugabo non loin du Lycée Wima (une école catholique des filles de Bukavu), c’est une foule immense de gens que j’aperçois au loin. Parmi les badauds qui sont là, il y en a qui se lamentent, qui sont énervés et d’autres qui semblent impassibles mais encouragent la scène.

Un drôle d’histoire vient de se passer sur le lieu. Un homme, transporteur de bagages (portefaix) de son état, vient d’être sérieusement battu par trois jeunes hommes.
Le hic: l’homme s’est permis de se soulager dans l’enceinte de la concession du Lycée Wima. Cet homme revenant du marché Muhanzi, a senti le gros besoin de se débarrasser. Comme Bukavu n’est pas doté de toilettes publiques, le quidam demande aux jeunes gens, membres d’une famille d’utiliser leur toilette se trouvant non loin de là. Mais ces derniers le lui refusent.

N’ayant plus d’autre endroit où se soulager et vu l’urgence qui l’effarouchait, l’homme choisit de se débrouiller dans la brousse. Ce faisant, les trois jeunes qui lui ont refusé de leur installation sanitaire, le poursuivent dans la concession du Lycée avant de le récupérer et de le tabasser sérieusement. Entré dans le coma, l’homme a été ramené aussitôt à l’Hôpital Général de Bukavu. Aux dernières heures, j’apprends que l’homme a rendu l’âme avant même de recevoir les premiers soins. 

"Sapilo", une liqueur locale interdite aux jeunes


Une radio locale diffusait ce matin un communiqué du Maire de la ville de Bukavu. Philémon Yogolelo interdit la vente des liqueurs locales. Selon son communiqué " tout contrevenant à cette décision subira la rigueur de la loi et payera une amende allant de 100 à 150$".

Pendant ma promenade dans la ville, je rencontre une vendeuse dans un kiosque. Par curiosité, je lui demande si elle vend du "Sapilo'' (terme utilisé dans la région pour désigner ces genres de liqueurs). Elle m'en sort deux de différents labels et de différents prix! "Pour cette marque la grande bouteille coûte 500 fc et la petite bouteille 300 fc", me lance-t-elle, sans gêne. Visiblement, elle n'a pas eu écho du communiqué du Maire. Voulant lui relayer le communiqué, elle s'irrite et me rétorque: " Ce n'est pas la première fois que le Maire de la ville prend une telle décision! D'ailleurs lui-même en consomme...

Le marché de Bukavu est submergé par ces produits toxiques. « C’est parmi les produits qui s’écoulent vite », estime un observateur. Les plus  grands acheteurs sont les jeunes.  Kara est l’un de ces consommateurs : « Si je continue à boire du « Sapilo », c’est par manque de travail. C’est pour me divertir et ça me soulage. Je peux m’en acheter à 300 fc alors qu’une bière me coûterait le triple ! Alors je fais quoi ? ».
Les jeunes comme Kara sont légion à Bukavu. Ils consomment à leur aise ces liqueurs.  Le comble est que certaines de ces bouteilles n’ont aucune indication. Pas de marque de fabrication  ni de taux d’alcool, et pas même de date d’expiration. Et cela ne dérange pas toujours les consommateurs.

La police Nationale Congolaise, les bourgmestres des communes et les Chefs des quartiers qui sont chargés de l’exécution de cette « énième mesure du Maire », ne semblent  pas se soucier des conséquences de ces produits. Leur implication est insignifiante! Pendant ce temps, la vente et la consommation du « Sapilo » continue à bien se comporter sur le marché de Bukavu.